Une correspondance philosophique

Article écrit dans le cadre du travail collectif du secteur philo du GFEN, publié en 2011 dans Pratiques de la Philosophie no 11.

Cécile Victorri

 

« La compréhension est un cas particulier du malentendu » (Antoine Culioli)

Première partie : l’origine du projet

Biographie rapide d’une ancienne addict de la dissert.

Il faut commencer par là sans doute : j’ai été moi-même formée et nourrie à la dissertation, dont j’ai longtemps cru qu’elle était la seule forme possible de la pensée philosophique. Mes études en classes préparatoires m’ont conduit à sacraliser cet exercice. On nous disait, et nous étions tout prêts à le croire, que notre maîtrise de la méthode dissertative nous donnait l’avantage sur tous les autres étudiants qui, à l’université, faisaient de l’histoire de la philosophie, et restaient étranger à l’art de la problématisation. Les résultats que nous obtenions en licence, et plus tard aux concours semblaient venir confirmer cette idée : grâce à l’art de la dissertation, nous réussissions souvent mieux, et cela nous suffisait parfois à croire que nous pensions mieux… Ainsi quand j’ai commencé à enseigner, je ne savais faire que des dissertations, et je les faisais bien. J’ai donc d’abord construit l’ensemble de mes cours sous cette forme unique et je n’avais que le désir d’apprendre à mes élèves à faire des dissertations : c’était pour moi le meilleur moyen de leur apprendre à penser. J’ai longtemps cherché (pas toujours en vain) à sensibiliser les élèves aux surprises de l’analyse de sujet, et au plaisir de la construction rhétorique d’un « suspens dissertatif », plaisir que l’on pourrait comparer à celui d’un écrivain élaborant la trame de son roman. Puis j’ai rencontré l’obstacle de la langue.

C’est en effet d’abord quand j’ai réalisé qu’en demandant aux élèves de chercher les sens d’un terme, de mettre les mots dans différents contextes, de déployer leur signification je les mettais devant une difficulté qui était pour eux insurmontable, que mes doutes ont surgi sur la pertinence de l’exercice. Ou si ce n’est de l’exercice, au moins de la méthode que l’on m’avait enseignée pour y parvenir. En effet, pour analyser les termes, il faut d’autres termes, et pour déployer les significations il faut maîtriser la langue. Or les élèves que j’ai eu récemment ont d’abord besoin qu’on leur « donne les mots » pour dire les choses, selon une expression qu’ils utilisent parfois eux-mêmes. Ils sont réduits au silence, si on leur demande de « parler des mots », de commenter la langue elle-même dont ils ont déjà le plus grand mal à se servir pour s’exprimer. Ainsi, avant même de me demander si l’exercice était pertinent, j’ai d’abord rencontré la question de savoir s’il pouvait y avoir des moyens plus appropriés pour y parvenir, et lesquels.

C’est ainsi que depuis quelques années, je présente davantage la dissertation comme la discussion d’une idée, que comme le traitement d’un problème, et le plan comme un mouvement d‘objection / réponse, plutôt que comme le déploiement d’un concept ou une progression dialectique. Ça ne change pas grand-chose à la réalité des copies, mais ça me semble plus juste et plus accessible comme objectif pédagogique. Pour aller au bout de cette conception de l’exercice, j’ai mené l’année dernière un projet de correspondance philosophique, dont le but caché était bien de former à la dissertation, et c’est ce projet que je vais maintenant vous présenter.

D’où viennent les idées pédagogiques ? D’autres idées pédagogiques !

L’idée est venue d’une démarche déjà existante de lettre à un auteur, dont j’avais pu faire l’expérience au secteur philo du GFEN les années précédentes. Il s’agissait de rédiger la réponse d’un auteur à un autre à partir de deux textes desdits auteurs. Cette démarche m’avait semblé particulièrement intéressante, dans la mesure où elle permettait de s’approprier un débat sur une question, à partir de thèses et d’arguments déjà existants : il n’était donc pas question de construire un problème, mais bien de le découvrir dans la « confrontation » des textes et de le comprendre, ce qui me semble éviter une des difficultés majeures de la dissertation. Par ailleurs l’intérêt de la démarche était de mettre en relation de manière explicite les arguments des auteurs, de telle sorte qu’on voie en quoi ils peuvent se répondre, et en quoi les objections de l’un n’épuisent jamais les arguments de l’autre.

Par ailleurs, cette idée de lettre, c’est déjà l’idée d’une écriture d’une autre forme que celle de la dissertation, et dont le caractère philosophique est pourtant indiscutable. Toutes les correspondances des grands philosophes sont autant d’écrits philosophiques qui l’attestent. J’ai donc proposé à ma classe de TL de se lancer dans l’écriture d’un recueil de correspondance philosophique.

Deuxième partie : Présentation du projet, les différentes étapes

Septembre – Octobre : démarches préliminaires

Le projet dont je vais vous parler a été mené à bien par une classe à petit effectif : 18 élèves. La plupart des élèves venaient d’une classe de 1ère L « ambition réussite », et étaient considérés comme particulièrement faibles, image qu’ils avaient d’ailleurs bien comprise et intériorisée, et qui a sans doute contribué à alimenter une absence complète de confiance en leurs propres capacités (bien qu’elle ait aussi permis une certaine bienveillance et un soin particulier de la part des professeurs investis dans le projet mis en place en 1ère L).

A l’emploi du temps, les heures de cours se distribuaient de la manière suivante, selon un vœu que je formule toujours pour les TL ; 2 fois 2 heures, une séance d’une heure, et une séance de 3 heures. Cela a son importance pour la suite.

Avant de les lancer dans l’écriture, il a fallu donner une idée aux élèves de ce qu’un échange épistolaire philosophique pouvait représenter. J’ai donc orienté la première partie de mon cours, sans rien dire, sur les notions du programme qui me permettaient de faire vivre à la classe, le plus rapidement possible des démarches dans lesquelles la lecture de correspondances, réelles ou fictives, interviendrait.

La première de ces démarches est décrite dans un des numéros de Pratiques de la philosophie (n° 5), et s’inspire donc (encore !) du travail du secteur philo du GFEN. Il s’agit d’un colloque autour des réponses aux objections de Descartes. Le cours avait porté sur la question de l’identité du sujet, et j’y avais exposé la conception cartésienne du sujet. Pendant une séance de trois heures, les élèves en groupe ont travaillé à la fois sur les textes des Méditations dont certaines objections faisaient l’objet, sur ces objections, et sur les réponses de Descartes aux objections. Le colloque qui s’en est suivi a donné lieu à des débats assez vifs, et assez confus aussi, sur la notion de substance, et la distinction substance / qualité, sur la transparence du sujet à soi-même, sur la pertinence de la méthode du doute, etc. Sans entrer dans les détails de cette démarche, il faut noter qu’elle avait l’intérêt surtout de faire voir que parfois les grands philosophes (comme Hobbes, par exemple) avaient des difficultés à se faire comprendre, et que la parole d’un auteur était sujette à discussion, et pouvait être remise en cause, pour des raisons plus ou moins bonnes.

Le deuxième moment du cours, préparatoire (secrètement) au projet, vient cette fois du stage 2009 du secteur philo du GFEN, où nous avions travaillé sur la notion de personne (voir dans ce même numéro). Nous y avions lu un passage, fort connu du reste, de Locke dans lequel l’auteur se fait constamment des objections à lui-même, auxquelles il répond ensuite. J’ai proposé ces textes aux élèves (toujours pendant ces séances de trois heures, dévolues à ce type de travail) en leur demandant de rédiger un dialogue entre « Locke et lui-même » après avoir distingué clairement les thèses des objections. Cette fois, l’objectif était de repérer les expressions par lesquelles l’auteur annonçait ses objections et ses réponses, et de travailler sur l’énonciation autant que sur la logique (réfuter, admettre, concéder etc.). Bien sûr c’était aussi un moyen de les faire entrer dans une première forme d’écriture, plus libre et imaginative que ne l’est la dissertation, dont je leur enseignais par ailleurs les bases, de manière plus classique. Ce moment du travail s’insérait dans la progression du cours, les textes portant sur la question de l’identité du sujet.

Enfin, le troisième moment de préparation, toujours sur cette plage horaire de trois heures, fut consacré à la rédaction d’une lettre de Freud à Alain, à partir de deux textes présentant des thèses opposées sur la pertinence de l’hypothèse de l’Inconscient. Cette démarche dont j’ai parlé plus haut, me permettait à la fois de nourrir la dernière partie du cours sur le sujet, et de familiariser déjà les élèves à l’exercice de la lettre : c’est-à-dire à faire, sans que ce soit encore en leur nom propre, le type de travail qui allait les occuper tout le reste de l’année.

Je ne rentre pas dans les détails de ces démarches, car on peut en trouver des comptes-rendus ailleurs, et qu’elles n’ont été cette année-là qu’une sorte de préambule au projet d’écriture qui fait l’objet de cet article.

Toussaint-Pâques

Après les vacances de la Toussaint j’ai présenté aux élèves le projet proprement dit, sans cacher son caractère ambitieux. Il s’agissait d’écrire un livre à partir d’un échange de lettres à l’intérieur de la classe, entre eux, sur des questions philosophiques qu’ils pourraient choisir parmi une dizaine que je leur soumettrais. Nous consacrerions l’heure isolée de l’emploi du temps exclusivement à ce projet pendant toute l’année. Au départ il ont été assez sceptiques, mais se sont laissés faire avec une certaine docilité, ce qui était d’ailleurs une caractéristique remarquable de la classe. Je crois qu’ils ont été très surpris, à la fin de l’année, de voir que finalement l’idée était sérieuse, et avait réellement abouti !

J’ai donc proposé une dizaine de questions, dont certaines étaient des sujets de dissertation, et d’autres des couples de notions. Je les ai choisies les plus « classiques » possibles, en ayant pour chacune en tête des textes contradictoires, qui pourraient venir soutenir l’argumentation. Les élèves devaient, par groupe de trois (des groupes qui devaient rester les mêmes toute l’année) en choisir trois, par ordre de préférence. Voici les questions que les élèves ont choisies : Liberté et déterminisme ; Pourquoi les hommes veulent-ils la vérité ? Individu et société ; Morale et bonheur sont-ils incompatibles ? Peut-on démontrer l’existence de Dieu ? Le désir fait-il le malheur de l’homme ?

La première lettre

Une fois que chaque groupe a eu une question en partage, la consigne était de définir une thèse commune. Cela a pris une séance d’une heure, durant laquelle la plus grande difficulté était moins de se mettre d’accord, que de bien comprendre la question, et d’y répondre d’une manière pertinente. En particulier, pour des questions comme « Société et individu », les élèves ont eu du mal à identifier sur quoi devait porter leur thèse. Or le but n’était pas de problématiser déjà la question, mais de mettre d’abord en évidence une « position de départ », une idée qui leur paraissait juste sur le rapport entre individu et société. J’avais dans l’idée qu’il fallait impérativement que cette première thèse corresponde à « ce qu’ils pensaient à première vue ». J’ai vite renoncé à cette exigence, qui m’est apparue secondaire en réalité : certains élèves, malins, ont deviné qu’il valait mieux partir de la thèse qu’ils avaient l’intention de réfuter (déjouant ainsi mes attentes) et d’autres avaient des idées déjà nuancées et complexes finalement, qui ne correspondaient en rien à ce qu’on imagine être « une opinion commune ». Enfin, il me paraissait plus important de reconnaître dans leurs ébauches des doctrines ou des orientations philosophiques que les textes d’auteurs pourraient soutenir. D’ailleurs, bien qu’ils ne l’aient pas reconnu à la fin (« nous ne devons rien au philosophes : nous n’avons pas été influencés » ont tenu à préciser certains d’entre eux « ce sont nos idées »), ils se sont en réalité beaucoup aidés des textes que je leur avais fournis.

Pour la deuxième séance (mais je ne les raconterai pas toutes en détail), j’apportai en effet à chaque groupe un texte qui allait dans le sens de la thèse, ou de l’idée qu’ils avaient dégagée. Le travail consistait alors à chercher dans le texte les arguments qui pourraient les aider à expliquer, développer et justifier leur idée première. A partir de là, chaque semaine, les élèves ont consacré une heure à l’élaboration et à la rédaction d’une lettre qu’ils devaient envoyer trois semaines plus tard, par mail, à toute la classe. Je supervisais le travail, pour débloquer un groupe qui rencontrait une difficulté ou aider à la compréhension de leur texte de référence. Puis, ils envoyèrent leurs lettres, souvent très courtes, maladroites, et parfois assez obscures (à l’exception d’un groupe de très bonnes élèves, qui avaient d’ailleurs un statut un peu particulier dans cette classe par ailleurs très faible).

J’imprimai toutes ces lettres, je les mis sous enveloppe, pour jouer le jeu, et les distribuai à leur destinataire, doublant ainsi l’envoi mail qui avait été général : chaque groupe reçut donc sa lettre qui, dans la plupart des cas concernait la question qu’ils avaient choisie en premier (pour ceux qui n’avaient pas obtenu leur premier choix dans la première étape) ou en deuxième.

On m’a demandé pourquoi les élèves n’avaient pas choisi par avance leur destinataire, plutôt que d’écrire cette première lettre de façon anonyme. La raison en est simple. Je voulais que les élèves choisissent les questions sur lesquelles ils allaient travailler et non les personnes à qui ils s’adresseraient, pour éviter que les relations personnelles ne viennent parasiter le travail d’écriture. S’il s’agissait d’échange épistolaire, chacun savait qu’en écrivant à son camarade, en dehors de ce cadre il n’aurait jamais parlé de ces sujets ni de cette manière. Il me semblait nécessaire que ce déplacement de la relation amicale que les élèves avaient entre eux à une relation « intellectuelle » se fasse, ce que le choix de son destinataire n’aurait peut-être pas permis.

La deuxième lettre

Chaque groupe a (re)lu sa lettre , dans une ambiance assez particulière : au début curieux et attentif, les élèves ont ensuite réagi de diverses manières : certains se sont mis rapidement à la critique, fondée sur un désaccord immédiat, et parfois d’ailleurs précipité ; d’autres se sont tournés vers moi, jugeant la lettre qu’ils avaient reçue incompréhensible ; enfin, les élèves qui avaient reçu une lettre très bien argumentée, et nourrie, très claire et bien menée considéraient qu’ils ne pouvait rien faire d’autre que d’acquiescer à ce que les meilleures élèves de la classe avaient écrit !

Pourtant, la consigne était claire : ils devaient répondre à cette lettre, et apporter des objections à la thèse qui y était défendue.

La consigne a d’abord été de travailler sur l’argumentation qui leur était soumise, et de relever les passages sur lesquels ils n’étaient pas d’accord, qui les choquaient ou qu’ils comprenaient mal. Il a fallu distinguer le désaccord qu’on peut avoir avec une thèse de celui qu’on peut avoir avec certains arguments, et admettre qu’on pouvait critiquer l’argumentation d’une thèse que l’on partage, et inversement reconnaître la validité d’un argument soutenant une thèse adverse. Au cours des séances suivantes, j’apportai, selon les besoins de chaque groupe des textes qui venaient à l’appui de leurs remarques ou idées, par exemple, j’apportai à ceux qui devaient critiquer le déterminisme un texte de Sartre, ou à ceux qui devaient trouver des objections à l’idée que l’existence de Dieu dépasse la raison des hommes, un texte de Descartes où il expose l’argument ontologique. Ce fut le moment le plus difficile du travail sans doute. D’abord parce que les textes étaient difficiles, ensuite parce qu’il ne s’agissait pas d’écrire un contre texte mais bien de répondre point par point à l’écrit de leurs pairs.

La troisième lettre

En janvier, la deuxième lettre fut prête, et envoyée de la même manière. Cette fois les destinataires étaient connus, et quand ils ont reçu leurs réponse, les réactions ont été cette fois très vives et unanimes : comment ? Les autres n’avaient rien compris ! Ils répondaient à côté ! Il s’agissait de bêtise, ou de mauvaise foi… il ne pouvait en être autrement. Une fois dépassée cette première réaction, ils ont eu à se demander d’où venaient ces incompréhensions ? Qu’est-ce qui dans leur première lettre avait pu laisser comprendre ce qu’ils n’avaient pas voulu dire ? Le travail a consisté alors à distinguer les simples malentendus des désaccords réels. Pour ce faire, je leur ai demandé de reprendre en même temps les deux lettres et de les lire points par points pour tenter de comprendre précisément l’origine des malentendus. Puis ils ont dû construire leur réponse. Très souvent il s’agissait de définir ou de distinguer des termes, de développer un argument ou d’apporter une illustration. Dans quelques cas les élèves se sont à nouveau appuyés sur des textes pour leur permettre d’exprimer plus clairement leurs idées. Je me contenterai de deux remarques : D’abord, comme le montre l’exemple de l’échange épistolaire proposé en annexe, c’est souvent parce qu’un mot est ambigu qu’il y a des incompréhensions mais cette ambiguïté n’est pas seulement due à de la maladresse, ni même à une maîtrise insuffisante de la langue. Ce sont souvent des difficultés philosophiques réelles que recouvrent les « malentendus», comme c’est le cas par exemple pour la distinction désir / besoin. Ensuite, il est apparu que pour être compris il fallait s’expliquer. Cela paraît une lapalissade, mais dans certains cas la différence entre la première et la troisième lettre est spectaculaire de ce point de vue : ce qui était d’abord abordé rapidement, de manière allusive est traité de manière beaucoup plus précise par la suite. Les auteurs des lettres écrivent dans un premier temps sous le sceau de l’évidence : leur idée leur semble nécessaire, et donc forcément partagée. Ou, quand ils ont emprunté la thèse qu’ils soutiennent à un autre, leur seul souci est de la restituer pour qu’elle soit reconnaissable, et non de l’expliquer ou de la défendre. En revanche, dans la troisième lettre et devant l’incompréhension de leur correspondant, la « rage » de se faire comprendre si ce n’est de convaincre, et surtout de se défendre contre les mauvaises lectures, les pousse à développer, préciser, expliciter leurs argumentions, ce qu’on exige souvent en vain dans les dissertations.

Pâques–juin « C’est votre dernier mot ? »

Une fois toutes les lettres achevées, nous les avons relues puis corrigées. Cette dernière opération fût délicate : il fallait corriger certaines fautes d’expressions, mais pas celles qui faisaient l’objet de critiques dans la deuxième lettre. Jusque là je n’avais « corrigé » aucune des lettres, j’avais fait des remarques sur le contenu, pour aider à la rédaction, mais je n’étais pas intervenue sur l’expression écrite. Chacun a corrigé un ensemble de trois lettres sur les sujets qu’il n’avait pas lui-même travaillés. Je voulais que tous aient une idée un peu précise du contenu de chaque échange, d’autant que ces derniers portaient tous sur des parties du programme.

Dans la mesure où l’année étaient sur sa fin, et les élèves très occupés par la préparation du bac, je me suis occupée (à regret car ce travail aurait pu être très formateurs pour les élèves) de la mise en page. Nous avons fait à l’oral un « débat bilan sur le projet, à partir duquel j’ai rédigé une petite présentation. Et consacré une dernière séance au choix d’une page de couverture et d’un titre. Les élèves décidèrent d’intituler leur œuvre collective : « Est-ce votre dernier mot ? » Enfin, j’ai demandé à chacun de faire un petit bilan personnel de l’année en vue d’une rencontre avec les élèves de 1ére L, à qui ils ont offert un exemplaire du livre, et parlé de leur expérience de la philosophie. C’est du livre et de ces différents bilans que je tire les extraits ci-dessous.

 

Conclusion

Pour finir, les élèves, dans ce travail au long cours, n’ont jamais « élaboré une problématique », ils n’ont pas « analysé un sujet », ni construit un développement dialectique. Bref, ils n’ont pas fait de dissertation. Certes, les trois lettres suivent le mouvement de la dissertation, si on veut (position / négation / dépassement…, thèse, / objection / réponse à l’objection, ou encore conceptualisation progressive). Mais chacun des élèves n’a pas fait ce cheminement seul. Et pourtant, quand j’ai fait avec les élèves le bilan de ce projet, ils ont tous évoqué l’idée d’une progression : tous avaient le sentiment que ces échanges auraient pu continuer, peut-être d’ailleurs sans fin, parce qu’une conclusion leur semblait impossible. Mais quand je leur ai demandé s’ils avaient l’impression d’une sorte de partie de ping-pong dans laquelle on se renvoie interminablement la même balle, ce que le titre qu’ils avaient choisi pouvait laisser entendre, ils se sont récriés : pas de conclusion, peut-être, mais certains ont dit avoir eu le sentiment d’élaborer une réponse qui était à la fois personnelle et nourrie des objections des autres, dont ils ont tous reconnu l’utilité ; d’autres ont carrément découvert une définition de la dialectique en tentant d’expliquer ce qu’ils avaient « vécu » à travers le projet[1]. La question était pour eux au départ de savoir s’ils allaient convaincre et « gagner » pour ainsi dire, mais très vite, ils ont considéré que c’était un objectif moins important que celui de savoir soi-même finalement ce qu’on pense et pourquoi. Pourtant, comme c’est aussi le cas d’ailleurs chez les « vrais » philosophes, leurs lettres montrent les réactions d’orgueil, qu’ils n’ont pas manqué d’avoir, et même leur désir parfois de rabattre le caquet de leurs interlocuteurs. Ces réactions sont-elles « anti-philosophiques » ? Je ne le crois pas, et elles coexistent d’ailleurs avec un effort sincère pour clarifier les choses, et répondre « honnêtement » aux objections.

Extraits :

Un échange sur la question : « le désir fait-il le malheur de l’homme ? »

Je choisis cet échange, que je propose in extenso, parce qu’il me paraît illustrer particulièrement bien le travail des élèves : d’abord, on voit la maladresse initiale des élèves, la manière dont ils s’appuient considérablement sur les auteurs, au départ, qu’ils répètent finalement, puis comment la nécessité de répondre les oblige à s’intéresser au sens des termes à préciser leur propre vocabulaire, et finalement à découvrir des problèmes philosophiques. Enfin, la différence entre la première et la troisième lettre (rédigées par les mêmes auteurs, rappelons-le) me semble tout à fait exemplaire de la progression dont j’ai parlé plus haut.

 

Lettre 1

« Chers apprentis philosophes

Après qu’on m’a demandé pourquoi le désir engendre le malheur, je vais aujourd’hui répondre avec mes arguments. Selon moi, le désir est défini par l’insatisfaction, par un état de frustration, qui nous rend malheureux.

Je considère deux désirs, le désir naturel et le désir vain ; le désir naturel est un besoin, une nécessité (j’ai besoin de me nourrir, pour vivre) c’est un besoin, alors que le désir vain est un désir dont on peut se passer comme par exemple avoir le désir d’acheter des vêtements

En effet, tout désir naît d’un manque, on ne désire pas ce qu’on possède déjà, on ne désire que ce qui nous manque.

Le manque, chaque fois qu’il est satisfait, disparaît, si la faim me prend je désire aussitôt manger, alors que si je n’ai pas faim, je ne désire pas manger.Mais le désir ne peut être satisfait, puisque nous éprouvons toujours du désir, donc nous éprouvons un manque et c’est notamment ce manque constamment présent qui nous rend malheureux, c’est donc pour cela que le désir engendre le malheur.

Sachant déjà que vous allez opposer des objections à ma thèse, j’attends une réponse de votre part.
Cordialement,

Eldojen. »

Lettre 2

« Cher Eldojen,

Après avoir lu votre lettre, je pense que quelques points doivent être éclaircis. En effet, vous affirmez que le désir est défini par l’insatisfaction et par un état de frustration qui nous rend malheureux. Je vous accorde que le désir est défini par l’insatisfaction car il est vrai que le désir ne peut être jamais satisfait, en effet nous sommes prédisposés « à désirer continuellement et peu obtenir ». Je m’explique : par nature nous cumulons beaucoup de besoins (dormir, s’habiller, se loger) cependant nous ne possédons pas des capacités illimitées de ce fait nous ne pouvons pas satisfaire tous nos désirs.

Mais notre faculté à imaginer nous permet de combler le manque éprouvé : lorsque j’imagine l’objet désiré j’oublie le vide qui est en moi. Toutefois l’imagination peut être aussi l’origine du désir car si je m’imagine fortuné, alors je désirerai, j’aurai pour ambition de devenir riche. Le désir ici ne serait alors pas quelque chose qui nous rend malheureux mais au contraire quelque chose qui nous ferait avancer. De ce fait on ne peut assimiler le désir à l’état de frustration.

De plus vous affirmez qu’on ne désire pas ce qu’on a déjà, mais je peux vouloir manger sans avoir faim, juste parce que j’en ai envie.

Enfin vous dites que c’est le manque constamment présent qui nous rend malheureux ; je pense au contraire que le désir et le manque est ce qui anime notre vie, quelqu’un qui a tout finit par s’ennuyer. Rousseau a dit dans La Nouvelle Héloïse « malheur à qui n’a plus rien à désirer ». C’est le cas avec les gens de la haute société, lorsqu’on a tout on ne jouit plus de rien et la vie devient mortellement monotone.

Selon moi c’est la satisfaction de tous nos désirs qui nous rendrait malheureux.

Cordialement,

Votre confrère l’apprenti philosophe »

Lettre 3

« Chers apprentis philosophes,

Après avoir lu avec attention votre lettre, ainsi que relu la mienne, je me suis rendu compte des contresens que j’ai pu commettre. Cependant, vous en faites de même, et vous avez commis les mêmes contresens, ainsi que d’autres incohérences.

Premièrement : il est incorrect d’affirmer que nous sommes prédisposés « à désirer continuellement et peu obtenir » car l’on peut obtenir ce que l’on désire, mais nous nous en lassons vite et nous désirons de nouveau. Nous pouvons voir ceci comme une montagne, que nous prendrions du temps à escalader c’est-à-dire qu’il y a la naissance d’un désir et nous ferions tout pour le satisfaire malgré le temps que cela pourrait prendre. Et aussitôt que nous nous trouvons au sommet, nous ressentons une grosse déception donc une descente rapide de la montagne, mais  peut s’en suivre la naissance d’un nouveau désir.

De plus, vous me reprochez de confondre « le désir » et  « le besoin » mais vous faites de même lorsque vous dites que nous cumulons beaucoup de besoins mais nous ne possédons pas des capacités illimitées qui nous permettent de satisfaire tous nos désirs.

Le besoin se traduit par un manque dont la satisfaction est nécessaire au bon fonctionnement de l’organisme. En revanche en ce qui concerne le désir, on pourrait choisir entre le satisfaire ou non. Ne pas satisfaire un besoin fondamental entraîne une carence. Ne pas satisfaire un désir se traduit par une frustration plus ou moins justifiée. C’est-à-dire que le désir serait un manque subjectif lié à ce que le sujet éprouve indépendamment de ses besoins objectifs. Le désir est satisfait sur le moment mais il peut se renouveler. Mais je dois admettre que l’on peut désirer ce dont on n’a pas besoin comme pour l’exemple de « la faim » ou l’on peut manger par simple envie, et non par besoin. L’usage incorrect des termes « désir » et « besoin » est fréquent dans le langage courant car chaque désir s’exprime et se ressent comme un besoin. La confusion entre désir et besoin n’est pas un amalgame car elle est involontaire. On confond les deux car le désir est un manque, mais ce dont on manque est un besoin. La différence entre ces deux termes est que le besoin une fois satisfait disparaît de la conscience du sujet mais le désir semble insatiable. Dès qu’on lui donne satisfaction, il renaît à la recherche d’un nouvel objet censé lui procurer à nouveau et davantage de plaisir.

On peut donc se demander si l’on désire ce dont on a besoin ; toutefois, soutenir qu’on ne désire que ce dont on a besoin, c’est peut-être se laisser abuser par la ressemblance que l’on peut observer entre l’état de besoin et celui de désir.

Vous affirmez que l’imagination nous permet de combler un manque éprouvé. Mais, par ma faculté d’imaginer je prends conscience de ma réalité, c’est-à-dire que je prends conscience de ce que je suis ; de plus l’imagination induit l’homme en erreur, c’est ce que Pascal défend dans les Pensées. Ce que j’essaie de vous faire comprendre, c’est qu’en imaginant j’ai peut-être conscience de la satisfaction, néanmoins cela n’est en aucun cas une satisfaction réelle mais plutôt illusoire. Certes imaginer est une activité nécessairement liée à la condition humaine en général, mais elle signale en même temps son impuissance à faire face au réel. Ainsi un homme amoureux, voulant faire part de ses sentiments à sa dulcinée pour qu’elle sache ce qu’il en est. Il va imaginer la scène mais il n’en sera pas satisfait, car en réalité, celle qu’il aime n’en saura rien. Donc cet homme n’aura pas affronté la réalité et se sera contenté d’imaginer son désir, ce qui ne pourra lui suffire.

Les gens de la haute société, comme vous dites, n’en finissent pas de désirer tout comme les autres hommes. Car malgré le fait qu’ils possèdent d’innombrables choses, ils peuvent toujours en vouloir plus. C‘est en particulier les gens qui ont beaucoup, qui en veulent plus, car celui qui se contente de peu ne manque de rien. Ainsi leurs désirs matériels sont sûrement satisfaits mais pas forcement les désirs immatériels. Par exemple une femme mariée à un homme très riche est comblée si son désir est  matériel. Mais s’il est immatériel, comme un désir de vengeance envers la femme qui est l’épouse de son amour d’enfance, il ne peut être comblé aussi facilement qu’un désir matériel.

Le désir engendre le malheur de l’homme car en plus du fait d’être malheureux à cause d’un désir insatisfait, et d’attendre cette satisfaction lorsque le désir est satisfait, on s’en lasse. De nouveau malheureux, l’homme aura d’autres désirs. Plus il tarde à être satisfait, plus la déception  est grande. Voilà pourquoi moins on désire, mieux on se porte, car le désir est un cercle vicieux qui engendre continuellement notre malheur. Ce que j’entends par là, c’est que celui habitué à ne pas avoir beaucoup de choses, à savoir celui qui ne désire pas énormément, est accoutumé à ne pas désirer. Etant familiarisé à se contenter de peu, il n’est pas en manque constant. Par conséquent celui  qui se contente de peu ne manque de rien.

Mes sincères salutations

Eldojen »

Faire des « TP » en cours de philosophie ? par Christophe Point

Didactique de la philosophie au lycée : faire des « TP » en cours de philosophie ?

par Christophe Point, professeur de Philosophie au lycée de l’Albanais à Rumilly et doctorant en philosophie de l’éducation

Est-il possible d’enseigner la philosophie au lycée en restreignant la pratique d’un enseignement vertical, magistral et frontal ? A cette question, la tradition pédagogique du professeur « expliquant » un texte ou un auteur semble répondre négativement, car ce qui est au cœur de sa pratique, c’est la transmission d’un savoir à un élève. Le professeur enseigne et l’élève apprend. Or, cette réponse entraine de multiples incompréhensions sur les compétences de l’élève et du professeur. Combien de fois avons-nous entendu des collègues soupirant : « Je ne comprend pas qu’ils ne comprennent pas » ? Cette didactique verticale et duale crée un effet épistémologiquement pervers : les causes d’une pratique inefficace sont cherchées, par les deux agents de cette relation (le professeur et l’élève), du côté du manque de compétences de l’autre agent. Ainsi, la faillite du processus d’enseignement sera instinctivement imputée à un échec d’un des deux agents et la corrélation de ce jugement ne sera que rarement identique.

Nous osons ici une autre réponse par un modèle misant sur un enseignement davantage horizontal, expérimental et collectif. Nous ne donnerons pas de théorisation de cette didactique, les auteurs pragmatistes de l’éducation, l’ont déjà fait. Au contraire, pour rendre ce modèle directement concret, nous choisissons de développer et de justifier un dispositif d’enseignement qui en sera l’application effective. Notre description rend explicite les actions des élèves et laisse celle du professeur implicite dans le but de rendre le dispositif le plus adaptable possible selon les situations et les moyens dont il dispose.

 

Ce dispositif a été développé sur trois années d’enseignement dans différents lycées. Plusieurs enseignants l’ont testé avec des classes de différents niveaux. Il s’applique à des élèves de terminale (S/ES/L/STMG/STI2D) en classe entière, de 30 à 34 éléments. Idéalement, ce dispositif se réalise sur des séances de deux heures consécutives et se déploie pleinement dans une progression annuelle. Néanmoins, il semble possible de le mettre en pratique sur un trimestre seulement, à raison de deux heures bimensuelles.

Note: Par souci de clarté et d’économie de présentation, nous n’analysons pas ici dans le détail les résultats de cette expérimentation, mais les gains dans les compétences d’analyse, de compréhension et de rédaction sont indéniables. De plus, l’aspect collectif de ces travaux renforce l’ambiance de classe, la solidarité et l’écoute entre les élèves de la classe. Enfin, bien que cela soit difficile à évaluer, les élèves apprécient grandement ce dispositif et le mentionnent en conseil de classe, auprès de leurs parents ou encore dans les évaluations anonymes sur le cours de philosophie.

a) Préparation et mise en place du dispositif

Tout d’abord, le dispositif commence par un redéploiement des tables et des chaises de la classe sous forme de plusieurs îlots de quatre chaises et de quatre tables. Nous avons donc, disposés de façon aléatoire mais néanmoins séparés de quelques mètres, huit îlots permettant d’avoir huit groupes de travail. Le choix des groupes est imposé aux élèves. Chaque îlot reçoit un numéro allant de 1 à 8 et chaque élève entrant dans la salle se voit attribué un numéro (entre 1 et 8 donc) dès qu’il franchit la porte de la classe. Cela permet de séparer certains élèves trop habitués à travailler ensemble, lorsque ce n’est pas de s’amuser ensemble.

Note : Toutefois, il est important de noter à ce stade de la description du dispositif que des « ajustements » peuvent être faits, voir même conseillés. C’est-à-dire que lorsque le hasard crée des groupes dont l’un est particulièrement faible (par exemple, avec trois élèves sur quatre déclarés « en difficulté » lors du conseil de classe du premier trimestre), il est souhaitable d’intervertir certains élèves pour un meilleur équilibre.

Sur les îlots, ces élèves vont trouver une photocopie individuelle de chaque texte étudié. Ces textes sont des extraits des textes canoniques du programme de philosophie. Ils sont présentés pour eux-mêmes sans explication, mais possèdent une référence documentaire classique permettant à l’élève s’il le souhaite de le retrouver facilement. De façon idéale, notre dispositif est pensé suivant une progression annuelle où le premier trimestre voit des séances n’analysant qu’un texte tout d’abord, puis le second trimestre permet l’étude conjointe de deux textes, et enfin au dernier trimestre nous parachevons ce dispositif par l’étude conjointe de trois textes.

Si deux textes sont étudiés alors quatre groupes étudieront le texte 1 et les quatre autres groupes étudieront le texte 2. S’il y a trois textes, nous pouvons diviser leurs études par un système de 3 groupes (par exemple, trois groupes travailleront sur le texte 1, trois autres sur le texte 2 et deux groupes sur le texte 3.). Ces textes doivent être d’égale longueur et d’égale difficulté à analyser. L’idéal étant bien sûr d’avoir une proximité « intellectuelle » d’argumentation le plus proche possible, nous y reviendrons. A partir du premier trimestre, il est possible de distribuer les textes à l’avance pour que les élèves aient eu le temps de les lire et de régler les problèmes courants d’incompréhension de certains termes, voire même à se renseigner sur l’auteur, sa philosophie etc. Pour la suite de la description du dispositif, nous nous placerons dans le cas d’une étude conjointe de deux textes durant la séance.

Enfin, le reste des documents est composé de feuilles de brouillon, de scotch et de grandes feuilles blanches A3 vierges (environs deux ou trois par groupes). Voire même A5 si cela est possible. Cette préparation est d’une grande importance et demande un investissement solide de la part du professeur en amont. Le choix des textes est décisif et doit répondre à une logique dialectique (les concepts et positions théoriques de chacun des textes doivent se répondre) et pédagogique (la compréhension égale de la forme argumentative de chacun des textes). Plus ces deux logiques seront précises et fines et plus la suite du dispositif sera efficace. Il est également évident que le professeur doit connaître parfaitement ces textes en question.

 

b) Les rôles des élèves au sein du dispositif

Après l’explication des consignes sur lesquelles nous reviendrons plus tard, les élèves doivent choisir durant la première heure leurs rôles. Quatre rôles sont possibles, permettant ainsi au professeur de choisir quels sont les rôles qui l’intéressent pour sa séance suivant le niveau de la classe. Ces rôles ont été définis et explicités aux élèves au préalable par le professeur. Ce sont les suivants :

Le dessinateur : il est celui qui a le rôle le plus simple. Sa tâche est de produire une illustration graphique du texte étudié. Il a un délai d’une heure pour produire son schéma descriptif en répondant aux deux critères principaux. Premièrement, ce schéma doit être le plus fidèle possible au fond du texte, c’est-à-dire accorder plus d’importance visuellement aux concepts structurants plutôt qu’aux concepts mineurs, faire un lien visible entre les concepts lorsque ceux-ci sont liés dans l’argumentation interne du texte. Deuxièmement, ce schéma doit être compréhensible rapidement. Cet aspect plus axé sur la communication n’a rien d’anodin s’il l’on suppose que ce qui se conçoit correctement s’illustre clairement. L’usage de couleurs, de dessins figuratifs ou autre effets esthétiques n’ont bien évidemment de sens qu’en vertu de cette nécessité. A la fin de la première heure, l’élève doit scotcher la production du groupe sur le mur de la classe de façon à être visible de tous. Ce premier rôle peut s’évaluer par la présence, la mise en relation et le nombre d’éléments présents sur le schéma.

L’informateur : l’élève ayant ce rôle se voit attribué un droit et un devoir sur ses camarades. Ce droit est celui de se déplacer physiquement de groupe en groupe dans la classe pour s’informer de l’avancée de la réflexion chez ceux-là. Ainsi les élèves de ce groupe n’ont pas la tentation de s’arrêter de réfléchir sur le texte pour aller voir ce qu’ont fait les autres groupes, car un seul élève a le « droit » de faire cela ; par contre, une des limites à ce rôle est qu’un groupe ne peut accueillir plus d’un seul informateur et que celui-ci doit se déplacer avec le plus de discrétion possible (pour éviter une augmentation du bruit superflue). Néanmoins, le devoir de cet élève est bien sûr d’informer le reste de son groupe mais sur deux objets différents. A la fois cet informateur peut ramener des réflexions sur le texte traité par le groupe, dans ce cas là l’information complète un élément manquant à la réflexion collective. Et à la fois, il peut amener un élément de réflexion d’un autre texte que celui du groupe, ce qui permet à celui-ci de concevoir la thèse adverse à la leur et de pouvoir accentuer leur réflexion sur tel ou tel point. Ce deuxième objet d’information est plus difficile à traiter pour l’informateur mais si celui-ci y parvient, il peut amener un véritable gain pour l’argumentation de son groupe.

L’orateur : Ce dernier rôle est certainement celui qui est le plus facile à comprendre et qui néanmoins reste des plus ardus pour l’élève à qui il échoie. Cet élève a en effet pour objectif de présenter au reste de la classe le schéma construit par son groupe. A la fin de l’heure, le schéma est affiché au mur de la classe, et l’orateur a un délai de cinq minutes pour présenter celui-ci, mais également tout le raisonnement logique du texte que le groupe a dégagé. C’est-à-dire que l’on attend de lui deux compétences. Premièrement il s’agit de présenter le travail effectué de la façon la plus claire possible à ses camarades en dégageant le thème, la thèse, la problématique, les moments argumentatifs du texte et les exemples de celui-ci. Et deuxièmement, il s’agit aussi d’être capable de répondre aux questions que peuvent lui soumettre les élèves des autres groupes qui l’écoutent à ce moment là. Si nous sommes dans une séance où seulement deux textes sont étudiés, cela signifie que quatre orateurs expliqueront leur schéma d’un même texte. Il convient alors pour l’orateur d’être plus synthétique que les précédents orateurs des autres groupes sur les points qui ont déjà été évoqués pour se concentrer sur les différences, les particularités de la compréhension de son propre groupe.

L’archiviste : Ce rôle demande à l’élève d’utiliser le cours de philosophie et l’ensemble des textes vus pendant l’année. Il a pour tâche de mettre en lien le texte étudié avec un autre texte vu pendant l’année. Cette relation peut être de l’ordre d’un ajout d’argument, d’une réfutation, d’un prolongement, d’une illustration etc. L’archiviste devra ensuite l’expliquer au reste du groupe pour que celui-ci puisse l’inclure dans le schéma et dans la présentation de l’orateur. Plus la relation faite est précise, pertinente et adaptée, plus le professeur peut évaluer favorablement la participation de l’archiviste. Ce rôle permet aux élèves de « naviguer » dans leurs cours et de faire des liens par eux-mêmes entre les différents auteurs, chapitres, notions et ainsi accroitre leur vision d’ensemble du programme de terminale.

Note : Il leur rend également plus facile le travail à réaliser sur leur cours car ils se rendent compte à quel point il est plus facile de travailler avec un cahier bien tenu, référencé, précis et propre. Les cours du mois d’octobre ne sont plus relégués au fond d’une chambre car ils sont potentiellement mobilisables à chacun des TP. La bonne tenue du cahier peut également être vérifiée à ce moment-là.

Ces rôles sont expliqués en début de séance par le professeur, mais plus ce dispositif est régulier plus cette explication peut devenir rapide, jusqu’à devenir implicite si l’on constate qu’ ils sont correctement respectés durant le dispositif. De plus, en début d’année, on peut se contenter seulement du rôle du dessinateur et de l’orateur. Les deux autres rôles de l’informateur et de l’archiviste peuvent être rajoutés au cours de l’année, suivant l’évolution du processus. En effet il semble que les élèves sont plus productifs lorsqu’ils ont chacun un rôle. Cela pour deux raisons : ce rôle correspond premièrement à une « tentation » des élèves qui se trouve légalisée et donc contenue dans certaines limites clairement définies (par exemple, la tentation de voir ce que les autres groupes font se trouve « contenue » dans le rôle de l’informateur). Et deuxièmement, le fait d’avoir un rôle donne une responsabilité valorisante à l’élève envers lui-même et son groupe. Nous y reviendrons.

Notons également qu’à l’occasion de chaque séance, le professeur doit noter la constitution des groupes, c’est-à-dire le nom de chaque élève dans son groupe, mais également son rôle. Cela permettrait dans l’idéal de faire varier les rôles des élèves séance après séance. Si un élève a déjà été archiviste, il pourra cette fois-ci choisir seulement parmi les trois rôles restants. Des points peuvent être enlevés au cas où un élève fait trop souvent le même rôle, mais l’idéal est encore de prévenir les élèves de ce fait avant le choix des rôles. La mise en place des rôles a pour but, en isolant certaines compétences, de montrer simplement aux élèves où sont leurs points forts et leurs faiblesses à travailler. Les rôles permettent aussi d’alterner ces compétences au sein du groupe et de confronter les élèves à une réalité de progression plus complexe que celle, habituelle, d’une dualité réductrice entre les « bons » et les « mauvais » élèves.

 

c) Déroulement du dispositif

Une fois les consignes données, les textes présentés, et les rôles distribués, les élèves peuvent travailler durant une heure. Pour éviter les mauvais départs dans la réflexion des élèves, au cours de l’année, il nous a semblé judicieux de conseiller aux élèves de ne pas utiliser les compétences de leurs rôles trop tôt. C’est-à-dire, dans la première demi-heure, il leur faut se concentrer tous sur la lecture du texte et son analyse sans rechercher tout de suite à s’informer ou à dessiner ce que l’on croit avoir compris immédiatement. En effet, les feuilles de brouillon du format A3 sont régulièrement nécessaires à cause de l’empressement des élèves à vouloir dessiner trop tôt. De plus, il serait inutile de s’informer du travail des autres groupes avant d’avoir compris un minimum le texte soi-même car on risque de ne rien comprendre ou de comprendre mal les analyses des autres groupes. Enfin, le professeur peut circuler à travers les groupes pour répondre aux éventuelles petites questions de vocabulaire ou de syntaxe qui ne manquent jamais de se poser.

Cette première heure est aussi un temps où le professeur peut demander quelques cahiers pour s’assurer que la synthèse ait bien été rédigée. Nous y reviendrons.

A ce niveau là du dispositif, nous sommes arrivés à la moitié de la séance de deux heures. Pour la deuxième partie du dispositif, le travail ne se fait plus en groupe de travail mais en classe entière. On peut à cette occasion, pousser les dernières tables qui encombrent le devant de la classe et inciter les élèves à prendre une chaise, de quoi noter, et de s’installer dans la moitié de la classe la plus proche du tableau. Il faut en effet qu’ils puissent examiner correctement les schémas. Après avoir travaillé par groupe, les élèves doivent procéder à une mise en commun pour s’enrichir de la compréhension de leurs camarades, et ce de façon mutuelle.

Note : On peut également noter qu’il ne nous paraît pas indispensable de déplacer les tables et les chaises de nouveau car une fois les élèves installés, nous perdrions trop de temps à les faire se déplacer une nouvelle fois.

La deuxième partie du dispositif se découpe elle-même en deux temps. Le premier temps de celle-ci se compose de l’ensemble des présentations des schémas par les orateurs. Si nous avons huit groupes de travail, nous avons donc huit orateurs qui prennent la parole cinq minutes chacun. Nous veillons à ce que tous les orateurs proposant un schéma du même texte se présentent à la suite. Cela crée un effet d’unité autour du texte qui reste l’objet central de ce dispositif. Nous pouvons alors constater les points communs et les différences des schémas d’explication de ce même texte.

Ces points communs peuvent porter sur la disposition générale du schéma qui traduit la structure argumentative d’ensemble de la pensée de l’auteur.

Note : Par exemple, si le texte se propose de présenter une opposition entre deux concepts ou deux idées, le schéma des différents groupes a des chances de se présenter sous la forme d’un tableau de deux colonnes présentant cette opposition. Mais ces points communs peuvent aussi porter sur les concepts centraux du texte qui vont apparaître avec autant d’importance sur le schéma.

Les différences entre les schémas peuvent bien sûr porter sur ce qui devrait être les points communs (structure argumentative d’ensemble ou concepts centraux). Dans ce cas là il s’agit pour le professeur de rectifier tout de suite l’erreur qu’a pu commettre un groupe. Il est important de noter que nous n’avons pu nous résoudre à écrire sur les schémas des élèves pour indiquer une éventuelle correction. Étant donné que le schéma est la production de la main même de l’élève et qu’elle est exposée au regard de tous, il semble délicat de la rendre illégitime intellectuellement de cette façon. Néanmoins, la présence à chaque fois d’au moins deux autres schémas permet de montrer assez simplement aux élèves leur erreur par une simple comparaison avec les schémas des élèves des autres groupes ayant a affronté le même texte.

Ce qui est réellement intéressant et positif lorsque l’on établit une comparaison entre les schémas d’un même texte est l’accentuation de telle interprétation des élèves à partir de la présence de concepts secondaires. Cela montre que les élèves de ce groupe ont été attentifs à tel aspect du texte plus qu’à tel autre. Ou bien encore, les différences que l’on peut trouver dans les exemples trouvés par les élèves dans les positions du texte sont également intéressantes pédagogiquement. On montre ainsi, grâce aux travaux des élèves eux-mêmes, que la même idée peut être illustrée de plusieurs façons différentes. Cela augmente les chances de compréhension de celle-ci pour l’élève car si l’exemple de son groupe ne lui a permis de comprendre que partiellement l’idée du texte, peut-être qu’un exemple d’un autre groupe l’éclairera sur la totalité de celle-ci.

Ce premier temps de la deuxième partie du dispositif a pour objectif de permettre aux élèves de s’informer sur les textes qu’il n’ont bien sûr pas étudié (car ils se sont concentrés sur l’analyse de celui qui leur était dévolu). Ici, la compréhension d’un texte se fait par la présentation d’un élève qui le présente, et ce de façon répétée. Bien sûr les schémas restent à l’appui pour aider à la compréhension de celui-ci.

 

Puis, dans le temps qu’il nous reste, c’est-à-dire souvent une dizaine ou quinzaine de minutes, le professeur peut établir une synthèse des textes étudiés. Il aura à cœur de noter les points centraux de chacun des textes en se référant aux schémas affichés et surtout de mettre en lumière la relation qu’entretiennent les textes entre eux.

Note : Cette relation peut être par exemple antithétique. La thèse d’un texte de Platon sur l’origine de la connaissance peut s’opposer à un autre texte de David Hume sur ce point. Ou bien il peut s’agir d’une relation de complémentarité, par exemple, tel texte de Nietzsche et de Schopenhauer se complètent sur une définition du concept de désir.

C’est au professeur à expliquer ce rapport pour que l’élève en comprenne bien la nécessité. Cela peut se faire par l’énonciation d’un problème auquel les deux textes répondent à leur façon. C’est à ce moment là que, par exemple, les concepts principaux peuvent être définis, les repères conceptuels au programme de philosophie peuvent être repérés et identifiés clairement ou encore les positions philosophiques face à un problème situées et identifiées.

 

d) Achèvement du dispositif et notation

Enfin cette deuxième partie du dispositif se conclut, à la fin de l’heure et de la séance, par l’obligation qu’ont les élèves de prendre en photo à partir de leurs téléphones au moins un schéma de chaque texte étudié. C’est-à-dire que si deux textes sont étudiés, l’élève doit au moins conserver deux schémas en photographie. L’usage des téléphones est conforme au règlement de l’établissement qui prévoit son usage uniquement dans le cadre d’un travail pédagogique (et l’interdisant naturellement pour toutes autres raisons).

Note : Il est intéressant de noter que les élèves n’ont pas obligation de prendre en photo le schéma que leur groupe a réalisé. Si, à la présentation d’un orateur et après le retour du professeur, un élève trouve qu’un autre groupe a réalisé un schéma plus clair et plus compréhensible que celui qu’il a fait, alors il peut prendre en photo un autre schéma. L’important est que l’élève garde l’outil le plus adapté à sa propre compréhension.

A l’issue de ce dispositif, un travail « à la maison » doit être réalisé par l’élève pour la prochaine séance. Il est nécessaire d’insister sur ce point avec les élèves pour leur faire comprendre que l’analyse n’est pas finie sans ce travail individuel. Ils doivent rédiger une synthèse de chaque texte étudié durant la séance sur leur cahier de cours. Le compte-rendu de la séance est donc constitué des synthèses des textes étudiés collés sur le cahier en plus du schéma de chaque texte reproduit à côté de celui-ci. Cette obligation du travail à la maison qui reprend sur le cahier de cours l’ensemble des éléments vus dans le dispositif a été aussi l’objet d’une véritable interaction entre les élèves. En effet, ceux-ci, par souci d’efficacité face à la tâche demandée, se sont organisés en se dotant d’une « dropbox » (mais cela aurait été possible avec n’importe quel autre site de partage en ligne) où les différents documents étaient échangés entre élèves pour permettre à tous et même aux absents d’avoir l’ensemble des documents pour leur travail « à la maison ».

 

Ces Travaux pratiques de Philosophie seront évalués pour chaque trimestre à partir des notes de quatre exercices consécutifs. Chaque séance de deux heures donne lieu à une évaluation sur cinq points. Ces points sont attribués sur la qualité du travail de groupe fourni (voir encadré ci-dessous). Cette notation peut évidemment s’adapter au cours de l’année avec une rédaction des synthèses sous formes de parties de dissertations par exemple, ou d’introduction, ou de partie d’une explication de texte. Et le professeur peut vérifier les synthèses dans les cahiers des élèves pendant la première heure, voire même enlever des points si celle-ci n’est pas suffisamment rédigée.

 

Dessinateur : La qualité, visibilité et aspect synthétique du schéma. Tout doit se comprendre facilement sur un schéma et celui-ci doit être le plus fidèle possible aux éléments du texte (faire ressortir les éléments importants et minimiser les éléments seconds). = 1 point.

Orateur : Qualité de l’élocution, richesse du propos, écoute agréable… toutes ces qualités lui sont indispensables. Il peut gagner des points en présentant clairement et de façon intéressante tous les éléments que les autres membres de son groupe lui ont transmis. = 1 point.

Archiviste : Mémorisation des textes et capacité de synthèse. Plus la relation que celui-ci pourra établir entre le texte étudié et les textes vus en cours précédemment sera pertinente et plus il fera « gagner » des points au groupe. = 1 point.

Informateur : Rapidité de compréhension, écoute plurielle et synthétisation, l’informateur doit aller vite. Il fera gagner des points à son groupe en trouvant les relations qu’ont les textes entre eux. S’il arrive à prouver que son texte est le mieux argumenté, c’est gagné. = 1 point.

Collectif : L’évaluation prend en compte la qualité des réponses du groupe aux questions lors de la mise en commun. Ce moment d’échange, très important, est là où la compréhension est la plus fine, la plus pertinente. Poser une question intéressante ou y répondre efficacement sont des signes de qualité du travail de groupe effectué précédemment. = 1 point.

Bien sûr, le professeur s’autorise sur ce barème une marge d’adaptation pour avoir un ensemble harmonieux.

Ce dispositif de Travaux Pratiques de Philosophie s’inscrit dans une dynamique pédagogique claire : faire de l’élève un acteur à part entière de son apprentissage et ce, au sein d’un collectif. C’est là que réside le potentiel d’émancipation exceptionnel qui dort dans la tradition philosophique. Apprendre à travailler et à penser ensemble semble n’avoir jamais été un objectif de la philosophie classique, or si celle-ci veut se tourner vers un enseignement moderne et jouer enfin son rôle émancipateur, elle doit de toute urgence réfléchir à de nouvelles façons de se transmettre. Nous espérons que, modestement, ce dispositif contribuera à cette évolution.

Une classe inversée est-elle possible en Philosophie ? Le projet collaboratif “micro-philo”

Motivation & principes généraux :

En classe de philosophie, nous passons beaucoup de temps à expliquer des points théoriques complexes, qui demandent du temps, de la concentration de la part des élèves, et qui obligent le professeur à se répéter d’une classe à l’autre. Evidemment ce temps est utile, mais il a aussi pour effet de diminuer le temps de discussion et d’appropriation pour les élèves, qui ne peuvent faire cela qu’après le cours, en-dehors de la classe, et beaucoup d’entre eux le font peu ou mal. L’idée d’ “inverser la classe” serait alors, certainement pas de remplacer le professeur par des vidéos (ce qui est une simplification caricaturale), mais de proposer un autre type d’organisation dans le temps :

  • enregistrer une fois pour toutes ce contenu théorique et demander aux élèves de le visionner en amont du cours. Ils auront donc eu un temps d’appropriation, différent pour chacun ;
  • s’assurer que tous les élèves ont une compréhension minimale du contenu auxquels ils ont été exposés. Si quelques-uns ne visionnent pas chez eux, ils pourront le faire sur le pc de la salle en rattrapant leur retard sur les autres. Si la compréhension est très inégale dans la classe, il sera possible d’organiser différents groupes et d’imaginer des exercices différenciés ;
  • mobiliser ce contenu théorique pour une tâche précise de réactualisation, comme la compréhension d’un texte ou d’une question de dissertation, un débat ou d’autres encore qui restent à imaginer ;
  • enfin, parvenir à problématiser ce contenu théorique, à en interroger les présupposés et les limites ;
  • dernière étape, facultative mais dont il faudrait examiner la pertinence : proposer aux élèves de créer à leur tour une capsule permettant de s’approprier un contenu ; s’ils savent l’expliquer sous cette forme, alors cela nous garantit qu’ils en ont une maîtrise théorique suffisante.

Evidemment tout le cours de Terminale ne pourrait pas se faire sous cette forme ; mais il serait plus simple pour le professeur d’amener à interroger un contenu théorique s’il a déjà fait l’objet d’une première acquisition en amont du cours.

Chantier :

La pratique de la classe inversée est assez répandue dans pas mal de disciplines, mais pas vraiment en philosophie à ma connaissance. Evidemment elle s’expose déjà à quelques critiques initiales qui peuvent faire hésiter à s’y engager, et qui peuvent au contraire encourager la critique sans aucune mise à l’épreuve pratique. Mais la principale difficulté à résoudre, c’est l’investissement que cela demande pour un prof seul de réaliser une petite capsule vidéo (de quelques minutes) avec les moyens techniques du bord. D’où l’idée de s’y mettre à plusieurs, si plusieurs se manifestent.

Créer de courtes capsules vidéos

présentant un point particulier, à réutiliser/discuter en classe par la suite, par exemple :

  • apprendre à maîtriser un repère du programme : subjectif/objectif, nécessité/contrainte/obligation…
  • exposer un point de doctrine précis (pas toute la philosophie d’un auteur), les grandes lignes de la classification des désirs selon Epicure ou le critère de réfutabilité/falsification selon Popper etc.
  • l’explication d’une courte citation d’auteur
  • l’analyse d’une oeuvre d’art ?
  • d’autres propositions ?

Créer un questionnaire de vérification,

dans lequel la vidéo sera incrustée et suivie de courtes questions, permettant de s’assurer que la vidéo a bien été visionnée et de préparer le travail en classe.

Créer de courts exercices automatiques

(avec autocorrection) avec des degrés de complexité différents.

Ensuite,

Imaginer des exercices en classes

permettant de remobiliser ces connaissances et de les réinterroger différemment, seul ou en groupe, avec l’aide du professeur, avec ou sans évaluation chiffrée.

 

Un exemple :

Voici plusieurs exemples de capsules vidéos que j’ai enregistrées avec les moyens du bord.

Pour réaliser cette vidéo, j’ai d’abord utilisé Google Slides pour concevoir le diaporama, l’avantage étant de pouvoir collaborer à plusieurs à distance .

Ensuite pour l’enregistrement de la voix off, j’ai utilisé 2 logiciels différents :

  • sur pc, le logiciel en ligne gratuit screencast-o-matic permet la capture avec voix off,
  • sur mac, le logiciel natif Keynote permet d’enregistrer la narration d’un diaporama.

J’ai ensuite conçu de courts exercices de vérification en ligne (un exemple ici à propos du repère subjectif / objectif), qui accompagnent chaque vidéo ; et il ne reste plus qu’à élaborer des exercices en classe.

Organisation :

  • se mettre d’accord sur des contenus à enregistrer en priorité
  • construire des diaporamas collaboratifs avec des schémas possibles, des exemples, images, citations utiles pour acquérir les connaissances souhaitées (mais en réduisant à l’essentiel).

Un template Google Slides : en cliquant sur ce lien vous pourrez créer votre propre diaporama à partir d’un modèle pré-formaté

  • procéder à un enregistrement du diaporama avec une voix off (éviter de dépasser 5 minutes), diffuser la vidéo entre collègues pour d’éventuelles corrections (notamment en utilisant les groupes professionnels sur les réseaux sociaux).
  • concevoir de courts exercices de vérification
  • concevoir de longs exercices de problématisation devant être faits en classe, seul ou en groupe.

Evidemment chacun est propriétaire des contenus qu’il a créés, et par ailleurs chacun peut donc héberger la vidéo qui l’intéresse sur son propre blog, ou on peut aussi imaginer de tout centraliser sur un même blog en philosophie.

Conseils pour se lancer :

  • ne pas se sentir intimidé ou paralysé par les complexités techniques. Chacun peut contribuer avec ses compétences, ses connaissances sans espérer un résultat spectaculaire. En cas de besoin, ne pas hésiter à demander un conseil ou une aide ponctuels.
  • renoncer à la perfection, admettre les imperfections techniques, les approximations, tant que cela rend service aux élèves.
  • privilégier un format court, et ne pas vouloir trop en faire d’un coup. Par exemple, éviter dans la même vidéo d’exposer une thèse puis de la critiquer ; il vaut mieux se contenter de l’exposer positivement et d’en faciliter ensuite un retour critique en classe ou dans une seconde vidéo.

Ressources :

Capsules vidéos déjà existantes en Philosophie

Le site d’un collègue d’Histoire de Bordeaux qui présente les outils utilisés dans sa classe collaborative.

L’association « inversons la classe » travaille à diffuser le maximum de pratiques du primaire au supérieur.

Cette association a notamment créé une série de tutoriels vidéo pour apprendre à maîtriser plusieurs outils informatiques utiles pour la classe.